Pénurie de composants : oui, non, peut-être

Par:
ftonic

mer, 25/08/2021 - 10:35

Depuis des mois, on parle de rupture de matières premières, de retards de livraisons. La crise sanitaire a désorganisé, en 2020, une partie de l’industrie. En réalité, l’économie mondiale est par définition mondiale et un grain de sable peut bloquer la chaîne. Le blocage du canal de Suez a montré l’effet domino. Un porte-conteneurs avait bloqué le canal durant 6 jours. Chaque jour des dizaines de navires marchands passent par le canal. Il a fallu plusieurs semaines pour retrouver un trafic maritime normal.

On parle de pénurie de semi-conducteurs : bref des composants essentiels. Ils sont partout : électroménagers, voitures, informatique, IoT, santé, industrie. Depuis le début de l’année, les experts et analystes alertent sur la pénurie suite à l’arrêt de plusieurs usines et des problèmes de production. Intel n’a pas hésité à prédire que la crise se poursuivra en 2022 et 2023 !

Cet été, les constructeurs automobiles ont prévenu que le manque de composants électroniques pèsera sur la production de voitures. Eh oui : plus de composants, plus de voitures ! L’électronique embarquée est tellement importante que les constructeurs dépendent de l’industrie électronique. Et comme, la production se fait à flux tendu, c’est à dire avec très peu de stocks, la moindre rupture d’approvisionnement bloque les chaînes de montage. Les constructeurs peuvent alors miser sur les modèles nécessitant moins de composants. 

Même Tesla a reconnu que le manque de composants et de matériaux ralentissait la production. La production s’est effondrée durant l’été pour s’adapter même si les ventes de Tesla ont été très bonnes grâce à un très bon début d’année.

Elon Musk a même fait une comparaison le 2 juin dernier : « Notre plus grand défi est la logistique, particulièrement sur les microcontrôleurs. Jamais vu quelque chose de pareil. La peur de manquer (de stock) fait que les entreprises ont acheté plus (que les besoins réels), comme durant la pénurie de papier toilette, mais à une échelle sans précédent. ». Générant ainsi une pénurie sur la pénurie initiale. TSMC, un des géants de l’électronique, a assuré que les usines allaient fortement accroître la production pour l’automobile. 

Les géants de la technologie sont impactés, mais de manière différente. Les volumes de composants n’ont rien à voir avec d’autres secteurs comme l’automobile. Les fabricants de semi-conducteurs peuvent alors privilégier les clients ayant les volumes d’achat les plus importants et des pénalités de retard peuvent être spécifiées dans les contrats d’achat. Les constructeurs de smartphone et de PC sécurisent les approvisionnements longtemps à l’avance notamment pour planifier la sortie des nouveaux modèles. En juin dernier, des rumeurs en Corée du Sud évoquaient un arrêt de la production d’un des futurs modèles et un ralentissement sur d’autres modèles. La disponibilité en volume de la PlayStation 5 a été impactée par la pénurie de composants. 

À quelques semaines des annonces des futurs iPhone, le regard se porte vers Apple. La Pomme avait alerté durant l’été sur l’impact de la pénurie, mais pour le moment, le constructeur ne semble pas trop en souffrir, mais la situation pourrait changer cet automne justement avec les nouveaux iPhone qui vont forcément peser sur l’approvisionnement. Les volumes de composants nécessaires sont tellement importants que chaque année, qu’Apple mobilise une grande partie de la production mondiale… 

La pénurie de composants a aussi montré la dépendance de nombreux pays envers quelques fabricants. Le ministre Bruno Le Maire s’en est ému en février dernier : cette dépendance est inacceptable. Il faut que la France et l’Europe puissent éviter le rachat de sociétés dites stratégiques. Le dernier exemple est le rachat, toujours en cours, de ARM par Nvidia. Il faut dire que l’industrie automobile pèse lourd dans l’économie de plusieurs pays européens… 

Sauf que cette situation n’est pas récente. Depuis de nombreuses années, l’Europe fabrique peu de composants et les acteurs européens du composant sont peu nombreux. Créer un Airbus de l’électronique et des composants ? L’idée est belle, mais la réalité risque d’être cruelle. Il faut tout d’abord des industriels capables de rivaliser avec les géants du secteur comme TSCM. Il faut les ingénieurs, les chercheurs, les développeurs. Là, l’Europe forme d’excellents cerveaux. Mais le problème est d’avoir une stratégie mondiale et d’être capable de suivre les concurrents notamment sur la gravure des processeurs et les capacités de R&D. Construire un géant du semi-conducteur ne s’improvise pas en 6 mois. Et il faut trouver les acheteurs pour écouler la production et les rassurer sur la pérennité. Est-ce que l’industrie européenne est prête à acheter massivement des composants européens ? La réponse est moins évidente qu’il n’y paraît. L’autre élément clé : l’investissement. 

L’Europe promet 1,8 milliard € pour l’industrie du semi-conducteur en Europe. Beaucoup ou pas beaucoup ? Quelques chiffres :

- en mars 2021 : Apple annonce 1 milliard € sur 3 ans dans son centre de recherches sur les composants de Munich

- Intel veut bien construire des usines de composants en Europe, mais demande 8 milliards € de subventions et d’aides. Dans le même temps, le fondeur investira 20 milliards $ pour de nouvelles usines aux États-Unis.

- TSCM a annoncé un plan de 100 milliards $ pour moderniser la production. Ce plan se déroulera sur 3 ans… 

Pour qu’une Europe du semi-conducteur soit crédible, il faut que les fabricants participent à cette ambition (plus politique qu’industrielle pour le moment) et il faut être capable de mobiliser des investissements colossaux. On estime qu’une usine de semi-conducteurs coûte 1 milliard $… soit la moitié du financement officiellement proposé.