ven, 13/09/2013 - 11:27
Dans leur perpétuelle quête d’un SI durablement urbanisé et industrialisé et offrant une rentabilité optimale des investissements informatiques, les entreprises voient dans l’architecture d’entreprise le moyen de résoudre, enfin et définitivement, l’équation « faire plus et mieux avec moins ». Or, on ne compte plus les Directions des Systèmes d’Information qui constatent l’échec de leur initiative d’architecture d’entreprise, et ce, quels que soient l’énergie, les moyens, l’outillage et la méthodologie employés. Un constat que le Gartner faisait d’ailleurs déjà en 2007 en annonçant que près de 2 initiatives sur 3 échouaient. Par Jean-Baptiste Ceccaldi, Président de Sentelis.
Complexité du sujet ? Ambition démesurée ? Problème de gouvernance ? De financement ? Manque d’implication métier ? Auto-proclamation des architectes d’entreprise ? Les causes sont souvent multiples.
Alors, l’architecture d’entreprise est-elle condamnée à ne jamais délivrer sa promesse ? Oui, tant que les entreprises continueront à suivre sans discernement les préceptes des cadres d’architecture du marché où leur attribuent une valeur supérieure à celle qu’ils apportent. Non, si elles adoptent une attitude plus « smart » dans leur mise en place et leur gouvernance.
Les principales sources d’échec
- Une mauvaise compréhension des cadres d’architecture du marché
La première étape consiste généralement pour les entreprises à faire le tour des cadres d’architecture du marché et d’en retenir un, par exemple TOGAF, comme base de départ.
Souvent mal compris des entreprises, les cadres d’architecture du marché sont perçus par celles-ci comme une recette de cuisine qu’il suffit de suivre pour atteindre le graal. Celui d’un SI aligné en continu à la stratégie de l’entreprise et créateur de valeur métier.
Si les ingrédients sont bien présents (démarche générale de mise en œuvre, macro-structure du référentiel d’architecture et principes de gouvernance globale), la plupart des cadres d’architecture sont en revanche très pauvres quant à leur mise en œuvre opérationnelle (le comment faire et le quand faire), et ne proposent pas de clé pour adapter la démarche au contexte de l’entreprise, à son réel pouvoir faire. Or, c’est souvent là, plus que sur le contenu, une source majeure d’échec et de désillusion. Les entreprises inexpérimentées, mal inspirées ou mal accompagnées, copient-collent ces cadres sans discernement et sous-estiment l’effort de conduite du changement à opérer tant côté métier que DSI. Elles ne prennent pas le temps de définir leur propre « business model » de l’architecture d’entreprise et en particulier son financement au long court. Elles oublient également que l’architecture est une co-propriété métier-DSI et que cette prise de conscience est loin d’être naturelle.
- Une approche trop régalienne et trop jacobine
Parmi les sources d’échec, le positionnement de l’architecture d’entreprise dans l’organisation occupe une place de choix. Alors que légitimement rien ne présuppose de loger l’architecture d’entreprise plus du côté directions métiers que du côté DSI, c’est, dans la plupart des cas, à la Direction de l’Architecture au sein de la DSI qu’en revient, à tort, la seule maîtrise d’ouvrage et la seule maîtrise d’œuvre et par la même occasion un déséquilibre structurel entre les dimensions métier et système d’information.
Une coloration SI qui pèse lourd sur un autre élément phare et emblématique : le référentiel d’architecture. Pour le constituer, et sans réelle co-gouvernance métier-DSI, les entreprises se lancent tête baissée dans la promulgation de toute une série d’artefacts fondamentaux, qu’elles font établir de façon centrale et unilatérale par une élite bienpensante, souvent auto-proclamée architecte d’entreprise et dont le casting exclu quasi systématiquement les directions métiers. Une approche jacobine et régalienne qui positionne d’emblée l’architecture d’entreprise dans une tour d’ivoire et qui fait porter aux architectes d’entreprise la responsabilité démesurée de prévoir tous les cas, juste au cas où, d’être les représentants du « Deus Architectura » capables d’apporter une réponse absolue à toutes les problématiques d’architecture. Elles créent un carcan qui nuit à l’innovation et fait passer l’architecture d’entreprise pour un destructeur de valeur.
- Le manque de promotion
Nul n’étant censé ignorer la loi, les entreprises emploient différents canaux de diffusion du cadre d’architecture, espérant que la greffe prenne. Trois canaux sont généralement utilisés : la formation pour évangéliser l’ensemble des « clients » potentiels de l’architecture ; le monitorat auprès des projets pour s’assurer en amont des instances de contrôle que la loi, non seulement est connue, comprise et appliquée, mais surtout est bien appliquée. Et enfin, un accès banalisé à l’ensemble des éléments du cadre dont le référentiel d’architecture, le classique Intranet de l’architecture d’entreprise.
a) Sur l’aspect formation, si l’intention est louable, c’est le plan de formation qui pêche. Rarement établi dans les règles de l’art, il manque d’efficacité. Les formations prévues sont soient trop générales soient trop complexes et au final souvent inadaptées aux différentes populations, avec l’effet contreproductif et la contrepublicité que l’on peut imaginer. Car au-delà du cœur de cible que représentent naturellement les architectes de tout bord (du métier à l’infrastructure), le cadre d’architecture intéressent également d’autres acteurs SI comme les chefs de projets et les gestionnaires de patrimoine et de nombreux acteurs métier, y compris certaines fonctions support comme les juristes ou encore les acheteurs.
b) Coté monitorat, en l’absence d’un vrai contrat d’architecture entre les projets et l’architecture d’entreprise, la frustration est souvent de mise et les victoires petites. Les projets non engagés formellement vis-à-vis de l’architecture d’entreprise restent arcboutés sur la défense des intérêts de leur donneur d’ordre et de leurs exigences locales.
c) Quant à l’intranet de l’architecture d’entreprise, par manque d’une conception professionnelle orientée expérience utilisateur, son ergonomie est inadaptée à chaque « parcours clients » de l’architecture d’entreprise. Peu, voire pas « markété », manquant de services à destination de ses usagers et pâtissant d’une faible gouvernance de gestion de son contenu, il est sous utilisé et ne joue pas le rôle que l’on attend de lui, de relai, d’aide à la conception mais aussi de découverte et d’auto-formation au cadre d’architecture.
Un changement radical d’approche
Face à la difficulté que représente la mise en place d’une fonction architecture d’entreprise efficace et reconnue, les entreprises doivent agir avec plus de discernement et considérer cet investissement comme un investissement stratégique. Elles doivent le voir comme le développement d’une nouvelle capacité de l’entreprise : la capacité d’alignement continue entre la stratégie et le système d’information. L’énoncé même de cette capacité en montre le rôle de pivot entre métier et DSI. Il sous-entend qu’il s’agit d’une zone de copropriété métier- DSI, de collaboration, voire à l’extrême de fusion entre « business » et « IT ». Le développement de cette nouvelle capacité stratégique passe par la définition des processus, des ressources, des informations et des technologies nécessaires pour l’opérer.
Les étapes à respecter
- Définir et formaliser entre métier et DSI la proposition de valeur souhaitée de l’architecture d’entreprise pour l’entreprise doit être vue comme l’acte fondateur. La vision, l’ambition, les buts et les objectifs doivent être partagés entre tous les actionnaires de l’architecture d’entreprise pour ne pas en hypothéquer d’emblée ses chances de succès.
- Il convient ensuite de décliner cette proposition de valeur en une offre de services adaptée à chaque segment client de l’architecture d’entreprise, ce qui sous-entend qu’un travail de segmentation de ces derniers et d’identification des usages associés à chacun doit être conduit. Les activités d’architecture d’entreprise doivent être conçues en regard de cette offre de services (normalisation & standardisation, contrôle & régulation & arbitrage, cartographie du patrimoine, architecture stratégique, formation, marketing & communication, accompagnement des projets…).
- Enfin le modèle de financement doit permettre de supporter la structure des coûts, qui doit intégrer parmi les coûts fixes, un budget annuel d’investissement pour enrichir le cadre d’architecture, pour cofinancer les travaux d’urbanisation en complément de la quote part à porter par les projets et un budget pour réaligner l’existant en cas d’évolutions sur les règles ayant un caractère rétroactif.
Mise en place d’une fonction architecture d’entreprise : construction et déploiement
Il convient d’identifier des paliers cohérents en termes de gouvernance, d’offre de services et de « produits » nécessaires pour la délivrer.
a) Coté gouvernance, il faut opter pour une approche qui permette de construire des éléments juste suffisants de façon itérative et incrémentale. Il est essentiel que métiers et DSI avancent ensemble, se comprennent et prennent en commun les décisions sur les grandes orientations et principes stratégiques du SI et donc les lois qui en découlent. Communiquer et promouvoir les progrès et succès de l’architecture d’entreprise est également critique. Il ne faut pas hésiter à afficher de façon ostentatoire des éléments tangibles.
b) En termes d’offre de services, il faut que les architectes d’entreprise puissent être des membres actifs des projets, qu’ils travaillent avec, côte à côte, dans une démarche constructive qui apporte une valeur reconnue par les projets. Cela implique que les artefacts fondamentaux, c’est-à-dire tous les éléments du cadre d’architecture d’entreprise qui préexistent indépendamment de son usage (normes & standards, méthodologie de conception, règles de modélisation…) soient et restent le plus simples possibles, que la cible soit comprise. L’objectif est de pouvoir faire passer les messages essentiels sans se perdre dans les détails, que les projets comprennent la raison d’être des choses, la nécessité de les faire en dépassant leurs enjeux locaux. Tout ne pouvant et ne devant être prédéfini, il faut mettre en place un dispositif réactif pour trouver des réponses globales aux demandes locales des projets. Cela impose de construire les lois de la république SI à partir de jurisprudences c’est-à-dire d’arbitrages réalisés dans le cadre des projets, mais traités de façon holistique, en prenant la hauteur suffisante pour les rendre généralisables.
c) En termes de produits, le minimum à constituer sont les macro-processus de gouvernance (notamment le processus d’instruction rapide, les processus d’enrichissement et de maintien du référentiel d’architecture), un kit de communication (en priorisant la communication auprès des projets), les grands principes directeurs de la stratégie métiers (découpage distribution/production, externalisation des fonctions supports, gestion pour compte, multicanal…) et SI (orientation service, industrialisation autour de socles technologiques, externalisation massive des développements…),la cible de haut niveau d’architecture (sur le plan fonctionnel à minima) et la cartographie applicative de l’existant pour mesurer le delta par rapport à la cible.
Cette approche GPS (Gouvernance, Services, Produits) est celle promue par Sentelis, le cabinet de conseil en gouvernance et architecture du SI. Elle se trouve au cœur de la méthodologie smartfoundations.
Jean-Baptiste Ceccaldi, Président de Sentelis
A propos de l'auteur