jeu, 04/02/2010 - 12:32
Un point de vue de Laurent Charvériat, Directeur Général et cofondateur d’I-Tracing.
« Il était une fois ….. Monsieur Jourdeut qui occupe un petit appartement équipé d’un accès Internet « très haut débit ». Il a en effet la chance de faire partie des privilégiés actuels équipés de la fibre optique jusque chez lui (ce que l’on appelle aussi accès ftth pour « Fiber To The Home »), ce qui lui offre un accès Internet avec un débit proche des 100 Mb/s.
Monsieur Jourdeut décide de prendre des vacances et laisse ainsi son appartement inoccupé pendant trois semaines. Le lendemain de son départ, un inconnu entre par effraction dans son appartement et y réside pendant 2 semaines. Pour les rares voisins qui se sont étonnés de le voir sortir de l’appartement, l’inconnu répondait simplement qu’il était un ami.
A son retour de vacances, Monsieur Jourdeut constate l’effraction et comprend en discutant avec ses voisins qu’une personne a donc occupé son logement pendant deux semaines ! Il déclare l’intrusion et l’occupation à la police en précisant qu’il ne déplore aucun vol ni détérioration autre que la fenêtre fracturée ayant permis l’intrusion.
Cependant, la réalité est tout autre. Son ordinateur et l’accès Internet très haut débit qu’il possède ont en fait été utilisés pendant deux semaines, quasiment sans discontinuer, pour télécharger de la musique et des films totalement piratés (sur les réseaux peer-to-peer et les newsgroups en particulier).
Monsieur Jourdeut n’ayant absolument rien à voir avec l’ensemble des téléchargements illicites qui ont été réalisés à son insu pendant sa période d’absence, il paraît naturel qu’il ne soit pas condamné : le meurtre réalisé avec une arme que l’on vous a volée ne fait pas de vous un assassin ! »
Bien que totalement fictive mais en rien absurde, cette situation pose fondamentalement le problème suivant : il n’est absolument pas nécessaire de pénétrer illégalement dans le logement de Monsieur Jourdeut pour utiliser son ordinateur et lui faire télécharger de la musique illégale. Un firewall mal configuré, un clic malheureux sur un lien dangereux d’Internet ou l’ouverture d’un mail indésirable peuvent être autant de situations permettant le piratage de votre ordinateur et pouvant le laisser à la disposition totale d’une (ou plusieurs) personne(s) se situant n’importe où sur Internet. Or, si le piratage est effectif, Monsieur Jourdeut aura-t-il les moyens de prouver son innocence ?
Cette situation n’est cependant pas la seule paradoxale. Pour rester sur le domaine de la musique, il paraît difficile de comprendre pourquoi il est possible d’écouter, en toute légalité quasiment toute la musique (actuelle) que l’on souhaite et, en particulier, le dernier tube à la mode, sur des sites comme deezer.com (qui font du streaming) mais, que si l’on récupère et enregistre sur son ordinateur, le fichier audio (au format mp3 non protégé par exemple) de ce même succès musical en cliquant sur un lien d’un site web mettant le titre à disposition, nous nous trouvons dans l’illégalité la plus totale !
Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, plus de 300 ans plus tard, Monsieur Jourdeut est peut-être un pirate d’œuvres protégées sans le savoir !
On parle souvent d’autoroutes de l’information en parlant d’Internet. Or, pour pouvoir conduire sur une autoroute, il est d’abord nécessaire de réussir son code qui permet d’officialiser le fait que l’on a parfaitement connaissance des règles de circulation qui s’appliquent. Il est ensuite nécessaire d’avoir un permis de conduire qui sanctionne le fait que l’on sait à la fois conduire un véhicule et respecter le code préalablement appris. Enfin, lorsque l’on roule, nous sommes en permanence entourés d’indicateurs qui nous permettent de connaître exactement les règles à appliquer : feux de signalisation, lignes continues ou pointillées, nombreux panneaux de signalisations dont ceux en particulier de limites de vitesses que nous pouvons comparer à l’indication de notre compteur de vitesse qui est obligatoire… bref, nous évoluons dans un environnement codifié, dont nous devons connaître les règles et pour lesquelles nous avons des indicateurs nous permettant de savoir si nous les respectons. Il est important de préciser que ces codes n’entravent en rien notre liberté dans le sens où nous avons effectivement le choix de les appliquer ou non. Le PV/amende vient donc, en général, sanctionner la transgression « choisie » d’une règle connue.
Mais qu’en est-il réellement sur Internet :
- y a-t-il des règles clairement édictées permettant de savoir ce qu’il est possible de faire et ce qui est explicitement interdit ?
- tout internaute a-t-il les moyens de savoir que l’action qu’il réalise est légitime ou non ?
- toute personne qui surfe sur Internet a-t-elle la formation minimale lui permettant d’utiliser avec un niveau de sécurité et de compréhension suffisant l’ordinateur qui est face à elle ?
La réponse à chacune de ces questions est malheureusement négative. Et c’est bien là qu’apparaît « l’autre fracture numérique ». Je ne parle pas de la différence existant entre les personnes ayant accès à l’informatique (connectées ou non à Internet) et les autres ; je parle du niveau de connaissance et de compréhension effective de ce qu’il se passe réellement sur Internet et de ce qu’il est possible de faire pour les personnes connectées. Internet et les technologies associées (informatique et télécommunications) présentent la spécificité d’être en évolution permanente. Ainsi, une mise à jour régulière est nécessaire pour parfaitement appréhender l’ensemble des technologies présentes, leurs utilisations mais aussi et surtout leurs risques et limites associés. Or, concernant ces derniers points, il est indispensable d’avoir parfaitement conscience qu’actuellement Internet est une jungle. Et c’est en plus une jungle magique, dans la mesure où, au-delà de l’aspect « non régulé » qu’il revêt, il offre, à qui connaît un peu les technologies sous-jacentes, des possibilités dignes d’un vrai « super héros » : ubiquité, (quasi) invisibilité, métamorphose, usurpation d’image et d’identité... pour n’en citer que quelques-unes. Il est ainsi simple pour ces « super héros » de faire que le flash ne se déclenchera pas malgré le bel excès de vitesse !
Ainsi, la réponse à Internet est une jungle, est-elle de mettre les animaux français en cage ?
Internet crée de nouveaux modes d’échanges, de communications, d’informations, de ventes et d’achats… bref, de nouveaux modes de vies et ces nouveaux modes doivent avoir leurs codes spécifiques et l’on doit donc être « outillé », formé et informé, pour savoir si l’on respecte ou pas ces codes… Bref, tout reste à construire… mais ne cherchons pas à construire ce nouveau monde avec les mêmes « matériaux » que notre monde actuel et en voulant recopier des schémas qui sont, de fait, inapplicables.
Laurent CHARVERIAT, Directeur Général et cofondateur d’I-Tracing.
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