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Romain Chaumais

ven, 05/10/2012 - 15:03

Les projets de cloud computing français répondent à un triple enjeu : de souveraineté, de compétitivité et de développement. A l’inverse de secteurs plus traditionnels, notamment dans l’industrie, l’accroissement de l’offre ne crée donc pas de surcapacité, mais génère une demande nouvelle et enclenche un cercle économique vertueux. Explications. Par Romain Chaumais, Co-fondateur d’Ysance et directeur des opérations.

Orange et Thales  viennent de dévoiler la stratégie de leur nouvelle co-entreprise Cloudwatt, qui proposera fin 2012 ses premières offres commerciales de cloud computing. Soutenu par les pouvoirs publics via le Grand emprunt, ce projet s’ajoute à Numergy, une autre initiative lancée par SFR et Bull, également avec le soutien de l’Etat. A la façon du nucléaire civil dans les années 1960, voici donc revenu le temps des grands projets nationaux. Si le contexte diffère grandement, l’enjeu est le même : celui de doter la France des technologies Best of Class sur un secteur stratégique pour l’économie du pays. A ce titre, l’analogie avec le nucléaire de l’époque va jusqu’à l’appellation des deux projets concurrents, qui associent les données informatiques à l’énergie.

Ces initiatives sont loin d’être anodines. Techniquement, le cloud computing déporte sur des serveurs distants des stockages et des traitements informatiques traditionnellement localisés sur des serveurs locaux. Il permet donc aux entreprises d’accéder à la demande à des serveurs virtuels délocalisés, mais aussi à un très large éventail de couches de services (base de données, stockage, messageries…), sans avoir à acquérir les infrastructures nécessaires. La voilà, la grande nouveauté. En renforçant la convergence avec les applications logicielles, le cloud computing accélère la « commoditisation » des infrastructures matérielles, dont il banalise l’accès et réduit le coût.

Mais que viennent faire les pouvoirs publics dans un secteur historiquement porté par la seule initiative privée, à l’heure où des acteurs aussi divers qu’Oracle, IBM, voire OVH ou Cheops Technology en France, cohabitent avec les pionniers que sont Microsoft (avec Azure) et surtout, Amazon Web Services ? En réalité, son rôle répond à un triple enjeu.

Un enjeu de souveraineté nationale

La nationalité des leaders du secteur, essentiellement américaine, excluait jusqu’à présent du marché un grand nombre d’acteurs économiques français pourtant potentiellement intéressés par les avantages du cloud computing. D’une part, le Patriot Act, signé par George W. Bush en 2001 dans le cadre de la lutte anti-terroriste, permet au gouvernement des Etats-Unis d’obliger une entreprise américaine installée n’importe où dans le monde (même en France, donc) à lui transmettre les données qu’elle héberge. D’autre part, les datacenters sont souvent situés en dehors de l’Union européenne, sans visibilité sur leur localisation précise et donc, sur les législations auxquelles elles doivent répondre.

Cette vulnérabilité de leurs données à l’égard de l’arbitraire d’états étrangers excluait donc de fait de nombreux types d’acteurs : les entreprises de secteurs sensibles (défense, aéronautique, industrie de pointe…), les acteurs publics (pour des raisons règlementaires), mais aussi certaines entreprises évoluant dans des secteurs réputés non stratégiques, mais dont le modèle repose sur la conservation et le traitement d’un très grand nombre de données (social gaming…). Le premier avantage de ces cloud souverains est donc de lever cette contrainte et d’offrir à ces acteurs une utilisation sécurisée du cloud computing, dans le cadre d’une législation française réputée stricte en matière de confidentialité des données.

Un enjeu de compétitivité

A l’heure où il est demandé au législateur de définir une feuille de route pour restaurer la compétitivité des entreprises françaises, il est un levier qui était largement sous-utilisé et qui dépasse le seul débat salarial : les dépenses informatiques. Jusqu’à récemment, les entreprises devaient se doter d’infrastructures dont la taille était fonction des seuls pics d’utilisation. Résultat de cette saisonnalité : une grande partie des capacités de serveurs était sous-utilisée la majeure partie du temps. En permettant aux entreprises d’accéder à des ressources externes dans des proportions potentiellement illimitées, le cloud computing permet de mutualiser une grande partie des surcapacités internes et d’en variabiliser au moins partiellement le coût.

Or justement, les projets de cloud souverain vont rapidement cristalliser une masse de données exponentielle en provenance des utilisateurs captifs (entreprises de secteurs sensibles et acteurs publics). Cette inflation de données générera mécaniquement des économies d’échelle colossales et alimentera la baisse tendancielle des prix de stockage, qui sont déjà tombés à près de 10 dollars/mois/téraoctet. Si les grandes entreprises, qui feront l’économie de lourds investissements en datacenters (parfois à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros), sont les grandes bénéficiaires de la montée en puissance du cloud computing français, elles ne sont pas les seules. A l’autre bout du spectre, le cloud computing ouvrira également le champ des possibles pour les petites et moyennes entreprises et viabilisera en retour certains projets entrepreneuriaux.

Autre intérêt économique du cloud souverain, sa localisation sur le sol français décorrèlera son coût de la parité de change euro/dollar et renforcera sa lisibilité dans le temps.

Un enjeu du développement économique

A l’instar des grands projets des années des 1960, qui ont permis de créer des champions mondiaux (Areva, EDF), le cloud souverain est destiné à rattraper rapidement le retard accumulé par la France vis-à-vis des Etats-Unis en matière d’infrastructure, à créer un nouveau domaine d’excellence sur un thème porteur d’avenir et à capter une part des 140 milliards de dollars que devrait représenter ce marché à l’horizon 2015 (source Gartner).

A l’inverse de secteurs plus traditionnels, notamment dans l’industrie, l’accroissement de l’offre ne créera pas de surcapacités, au contraire, mais génèrera une demande nouvelle et enclenche un cercle vertueux. En rentabilisant des usages autrefois non profitables, voire en en créant de nouveaux, le cloud français offrira aux entreprises la proximité avec un écosystème aussi riche que dynamique (SSII, éditeurs, infrastructures…) et favorisera en retour la création de valeur pour l’ensemble de l’économie. C’est toute cette potentialité qui justifie aujourd’hui l’ampleur des projets annoncés.

Et demain ? Pas plus qu’ils ne détrôneront totalement les fermes de serveurs, qui garderont au moins partiellement leur raison d’être pour certaines grandes entreprises, le cloud souverain n’a pas vocation à remplacer les leaders du secteur, comme Amazon Web Services (AWS). Il ouvrira en revanche le marché à de nouvelles cibles, à de nouveaux usages. Il accélérera parallèlement la structuration du marché en améliorant sa qualité globale, son adéquation à des besoins sans cesse changeants, puis en amenant les acteurs de ce secteur en devenir à se spécialiser. Bref, à faire des entreprises françaises des acteurs à part entière de ce nouvel univers.

Romain Chaumais, Co-fondateur d’Ysance et directeur des opérations

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