mer, 06/01/2010 - 16:32
Un article d'Opinion de Christophe CORNE, Président de Systancia
Qu’est ce qu’un éditeur de logiciels ? En échangeant avec des responsables publics de tous niveaux, il apparaît que ce secteur, mal identifié, mal positionné, reste en France, assez naturellement sous estimé. Cette perception découle probablement d’une confusion entre deux métiers bien distincts : celui de l’éditeur qui anticipe en fabricant un produit pérenne et celui de la société de services informatiques qui réalise une prestation spécifique, sur commande. Sans la citer, une de nos grandes SSII vient de se réveiller avec plus de collaborateurs en Inde que dans son pays d’origine. Impossible dans le secteur du logiciel. Le métier d’éditeur est d’abord un métier de création et d’innovation. Un logiciel dans sa phase de production peut être assimilé à la conception d’un nouveau modèle de voiture, au stade prototype. Le logiciel est conçu au sein d’un département de recherche et développement, en associant les mêmes forces : la création artistique (les interfaces utilisateur dans un cas, la carrosserie ou l’habitacle dans le second), la technologie pour disposer des meilleures performances, l’étude de marché pour détecter les besoins des utilisateurs ciblés... Voici une industrie avec les mêmes atouts que le secteur automobile, sans risque de délocalisation pour la fabrication en série ! Un éditeur consacre, en moyenne, 25 % de son chiffre d’affaires à la conception de nouveaux produits innovants, quasiment exclusivement en ressources humaines souvent hautement qualifiées.
A la différence du secteur automobile où la France a longtemps prédominé, les seuls pionniers, en matière de logiciels, sont les Etats-Unis. Fort logiquement, les plus grands éditeurs sont américains. Les classements réguliers d’éditeurs de logiciels (AFDEL, Truffle) montrent que la France, en dehors de son brillant champion national Dassault Systemes (1,154 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le 2ème français étant à … 180 millions d’euros), n’a pas de prétendants susceptibles de rejoindre les grands du secteur ; au niveau mondial, les dix premiers représentent 135 milliards d’euros de chiffre d’affaires (versus 2,2 milliards pour les dix premiers éditeurs français). Avec la même part de marché mondial que l’automobile française (8,2 %), ce serait plus de 150.000 emplois et 10 milliards d’euros de revenus supplémentaires pour le secteur français du logiciel.
Les éditeurs français répondent d’abord aux besoins spécifiques des clients de leur territoire, leurs logiciels, sont donc particulièrement verticalisés (orientés gestion et métiers). Ils sont très peu présents à l’international. A contrario, les éditeurs américains sont d’abord grand public ou généralistes (par exemple logiciels bureautiques) ou encore éditeurs de logiciels d’infrastructure (le système d’exploitation d’ordinateur en étant le représentant le plus connu) ; ils s’adressent à tout type d’entreprise quel que soit son métier. Cette situation devrait péricliter. Les éditeurs français qui se risquent sur ce secteur, se retrouvent rapidement face à une gageure : convaincre des responsables, notamment ceux de grands comptes privés ou publics, de ne pas acquérir d’emblée le produit leader, voire de s’intéresser à celui d’une société qui pèse quelques millions quand le géant représente quelques milliards.
En regardant les prophéties des analystes internationaux (Deloitte, Gartner) sur les technologies informatiques qui s’imposent et s’imposeront, force est de constater que les sujets majeurs et porteurs sont déjà labourés aux Etats-Unis, soit, par les acteurs historiques qui s’en emparent, soit, par des start-up émergeant rapidement sur le marché. Cloud computing, virtualisation du serveur au poste de travail (technologie souvent associée au cloud computing), logiciels et réseaux sociaux, green-it ou logiciels contribuant à régler des problèmes environnementaux, s’insèrent dans ces catégories logicielles (généralistes, grand public ou d’infrastructure). Elles ont leurs meilleurs représentants et leurs champions déjà localisés de l’autre côté de l’Atlantique. L’un des points forts, communs aux technologies des infrastructures, est d’être source de réduction financière ou d’amélioration environnementale. L’administration américaine a toujours été la première consommatrice de ces logiciels, s’équipant tout en favorisant indirectement son industrie.
Certes, le « grand emprunt » est annoncé comme devant financer haut débit ou encore cloud computing. Si l’esprit est de co-financer avec le privé des équipements (tuyaux ou salles serveurs – data-centers) qui nous font effectivement défaut, leur implantation va d’abord profiter aux logiciels d’infrastructure déjà positionnés : grâce à nos routes, autoroutes, stations services, ils pourront cheminer paisiblement vers nos entreprises et administrations. Une ambition légitime pour notre pays serait une péréquation : chaque euro d’infrastructure complète, un euro d’investissement vers le secteur logiciel ou un euro de commande publique, dans le cadre d’appels d’offres, pour l’achat de logiciels d’infrastructures. L’effet serait immédiat et multiple. Il permettrait de doter notre pays de champions, créateurs d’emplois, capables de conquérir dans la foulée des marchés internationaux et verrait nos administrations, grands comptes publics, s’équiper de solutions logicielles vectrices de réduction de coût et d’amélioration de l’environnement.
Christophe CORNE, Président de Systancia
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