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Par :
Eric Hutchinson

mar, 06/10/2015 - 10:46

La virtualisation des réseaux est une tendance qui s'accélère, remettant en question les certitudes établies sur la nature et la valeur de l'organisation et de la structure. Eric Hutchinson, CEO de Spirent Communications, invite à une nouvelle réflexion sur la relation entre le virtuel et le réel - dans la vie de tous les jours comme dans l'entreprise.

J'ai lu récemment un récit de souvenirs d'enfance dont l'action se situait dans les années 50, et qui décrivait l'expérience d'une personne forcée à l'exil : une mère en larmes serrant son enfant dans ses bras avant de traverser le tarmac pour monter dans l'avion, se retournant et agitant la main en signe d'adieu. Le fait de pouvoir se déplacer librement sur la piste pour ce dernier adieu est bien loin des réalités actuelles des vols internationaux, qui sont soumis à des règles de sécurité très strictes. A l'époque, il était beaucoup plus simple de voyager à l'étranger car le voyageur n'avait pas à remplir autant de formalités ni à subir les délais d'attente aux postes de contrôle, les contrôles de sûreté et les files d'attente en serpentin actuels.

Aujourd'hui, nous avons la technologie nécessaire pour recréer cet environnement rationnel et ouvert dans les aéroports. Avec la vidéosurveillance, la reconnaissance faciale automatique, la localisation et l'envoi de messages sur les téléphones portables, nous pourrions même implanter des puces d'identité et nous débarrasser des passeports ; toutes les cloisons, toutes les barrières et tous les points de contrôle ou presque pourraient disparaître, laissant ainsi les passagers et leurs accompagnants se déplacer librement sans file d'attente. Les bagages à main seraient toujours contrôlés avant l'embarquement, mais il suffirait d'envoyer un message sur le téléphone portable du voyageur du type : "Le passager X est attendu au point de contrôle C dans cinq minutes. Celui-ci se trouve à 1 minute de marche de votre position actuelle." 

Ce serait une solution efficace et flexible qui rendrait le transport aérien agréable pour le voyageur. Mais elle exigerait de modifier radicalement notre façon de penser : en effet, comment garantir la sécurité, gérer le trafic passagers ou répondre aux situations d'urgence sans flux de passagers clairement définis et régulés par des points de contrôle physiques ? Le gouvernement ne le permettrait jamais - et pourtant, nous connaissons d'ores et déjà quelque chose de très similaire sur nos réseaux de données.

Le réseau de données traditionnel se compose de parcours de câbles qui relient les commutateurs et les routeurs servant de points de contrôle pour surveiller les signaux et déterminer leur orientation, ainsi que de points de sécurité qui servent à analyser, autoriser ou bloquer le trafic en fonction de sa légitimité. Mais l'arrivée des "réseaux définis par logiciel" (SDN) et de la "virtualisation des fonctions réseau" (NFV), même s'ils conservent la même configuration de câbles, est en train de transformer cette structure de réseau rigide en un environnement de données souple et dynamique. Pour comprendre comment cela est possible, revenons au modèle de l'aéroport.

Cet aéroport futuriste se compose en réalité de deux couches : un espace physique dans lequel se déplacent des personnes réelles, et un modèle virtuel de cet espace où chaque personne est cartographiée en temps réel suivant ses informations personnelles et sa position. Ce concept n'est pas difficile à comprendre : il y a longtemps, Platon a suggéré que le monde physique dans lequel nous vivions n'était peut-être qu'une ombre qui dissimulait un monde plus objectif et plus réel s'étendant au-delà de notre raison. Reste à savoir désormais quelle est la part de réalité et quelle est la part d'ombre.

Pour le passager, la réalité de l'aéroport et du poids de ses bagages ne fait aucun doute, donc la couche de contrôle est simplement l'ombre qui dissimule les personnes et les structures qu'elle cartographie. Mais pour l'agent de contrôle de l'aéroport, cela n'est pas si évident : la couche de contrôle est l'endroit où toutes les décisions sont prises, et où le sort de ces personnes est déterminé. Prenons l'exemple du jeu d'échec : s'agit-il d'une lutte entre des pièces blanches et noires en plastique sur un échiquier, ou s'agit-il plus vraisemblablement d'une lutte entre deux esprits, où les pièces de l'échiquier sont simplement le reflet de cette lutte ? Pour le responsable de l'aéroport - ou du réseau -, la virtualisation pourrait sembler plus réelle que les pions humains qui sont manipulés dans l'espace physique.

Tout cela pourrait être perçu comme de simples suppositions sans fondement, si ce n'est que le dilemme de la virtualisation est en train de s'étendre à la vie quotidienne et à l'entreprise. Au début du siècle dernier, on pouvait dire que le propriétaire était l'entreprise : même lorsqu'un accord était conclu par téléphone à des milliers de kilomètres de distance, il y avait un lien unilatéral entre la décision du propriétaire et le résultat.

Comparons cela avec la fonction de président aujourd'hui. Je parle du président d'un pays, même si quelque chose de similaire pourrait bientôt s'appliquer à un président d'entreprise. Le Président va faire un discours sur l'état de la nation devant un auditoire trié sur le volet, qui sera ensuite largement diffusé. Le Président a décidé de ce qui devait être dit, mais le discours a déjà été légèrement remanié par les rédacteurs du service des relations publiques. Le Président avait l'air un peu pâle, mais les maquilleurs ont remédié au problème tandis que l'équipe de tournage a décidé de régler les profils couleur pour donner au Président un teint hâlé plus lumineux, et que les ingénieurs du son ont ajusté la fréquence pour donner à sa voix un ton plus grave et autoritaire. Finalement, la majeure partie de la population ne verra que certains extraits du discours coupés au montage : un extrait pour l'actualité économique, un autre pour les téléspectateurs des émissions de grande écoute, etc.

Le discours est formidable ; les électeurs sont conquis. Mais qui a remporté le vote ? Le Président réel ou l'image virtuelle du Président qui a été présentée aux électeurs ? Si le Président réel avait une crise cardiaque, pendant combien de temps les enregistrements numériques pourraient-ils continuer à lui faire gagner des voix avant que la vérité n'éclate ?

Pour les entreprises, il est encore naturel de se considérer dans des termes concrets et précis. La réalité réside dans le produit, la fabrication, la main-d'œuvre, les partenaires de distribution, etc., alors que les données du réseau ne sont qu'un monde de l'ombre qui donne des informations et conserve des archives. Il serait exagéré de prétendre que l'environnement physique était moins réel que les données, mais nous ne sommes plus très loin de la parité, en particulier dans les industries de service. "La réalité, c'est le résultat !", disent les sceptiques. Mais ce résultat ne se traduit plus par un tas d'or, c'est juste un flux de données entre les banques.

Il faut changer d'état d'esprit et prendre davantage conscience de la relation entre le réel et le virtuel, sans sous-estimer ni l'un ni l'autre. D'un côté, il y a ceux qui interdiraient un aéroport ouvert car ils le considéreraient comme trop risqué, trop sujet à la fraude et impossible à contrôler ; de l'autre, il y a ceux qui pensent qu'il limiterait les frustrations, permettrait de gagner du temps et stimulerait l'économie. La vérité se situe entre les deux : cet aéroport pourrait engendrer de nouveaux problèmes mais il pourrait aussi donner des solutions potentielles.

Personne ne comprend mieux la nécessité de changer de mode de pensée que l'industrie des réseaux à l'origine de cette tendance de la virtualisation. De nouveaux organismes de branche tels que l'Open Networking Foundation (ONF) et le CloudEthernet Forum (CEF) rassemblent les utilisateurs, les vendeurs, les fournisseurs de services et les testeurs réseau - y compris de nombreux concurrents actifs - pour qu'ils relèvent des défis ensemble, élaborent de nouvelles approches et trouvent dès maintenant des solutions. Il existe un sentiment d'urgence guidé par la croissance phénoménale du Cloud Computing - une progression trop rapide entraîne toujours un risque de fragmentation ou d'engagement dans des impasses technologiques. Les questions essentielles à se poser sont les suivantes : comment gérer un environnement virtuel, comment contrôler ses performances et comment le sécuriser ?

La virtualisation des réseaux est un sujet qui peut sembler très abstrait jusqu'à ce que l'on commence à remettre en question la réalité de l'entreprise d'aujourd'hui : quelle est la part des biens matériels et celle des données pures dans la valeur d'une entreprise ? Dans quelle mesure peut-on dire que le flux d'informations qui transite par le réseau interne est devenu la "réalité" de l'entreprise, tandis que les services et les systèmes physiques sont devenus les pièces de l'échiquier ? Dans cette perception de l'entreprise virtuelle, quelles sont les nouvelles opportunités et menaces émergentes, et quelles sont les nouvelles solutions disponibles ?

Ce sont des questions qui méritent d'être abordées ouvertement et à grande échelle. Pendant ce temps-là, de plus en plus de grandes entreprises font appel à des organismes de test et de surveillance spécialisés dans les essais de systèmes virtuels pour trouver des réponses et demander des conseils : dans quelle mesure peuvent-ils garantir un certain niveau de sécurité, de fiabilité et de service dans une structure qui est en constante évolution et apparemment sans limites ?

A propos de l'auteur

Eric Hutchinson
CEO de Spirent Communications

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