EuroHPC : n’est-ce pas trop tard pour l’Europe ?
mar, 16/01/2018 - 08:46
Depuis quelques jours, on nous annonce fièrement le lancement du projet européen EuroHPC. HPC signifie calculs à (très) hautes performances. Jusque-là, rien de bien nouveau. En réalité, le monde des supercalculateurs, servant notamment au HPC, est aujourd’hui dominé par la Chine, le Japon et les États-Unis. Oui, l’Europe en possède, mais nous avons actuellement perdu cette bataille, ou presque.
Le top 500 des supercalculateurs est dominé par la Chine (1er et 2e), surprise, le 3e est la Suisse. Le Japon arrive 4e et les États-Unis sont 5e, 6e, 7e et 8e. Le premier supercalculateur français appartient à Total et se classe 21e. La France classe une dizaine de machines dans les 100 premiers. Elles appartiennent au CEA, Total, Atos, Meteo France, pour la plupart. Mais nous sommes tout de même largement battus par l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne. Oui nous possédons des HPC performants, mais nous manquons de puissances brutes. Pour donner l’ampleur de la puissance, le premier du classement aligne 10 millions de cœurs processeurs, la machine française en aligne 220 000.
En 2014, dans Programmez! 181, nous évoquions déjà le grand défi des années 2020 : l’exoscale pour atteindre l’exaflop de calcul soit 10 puissance 18 ! Une machine exascale est la capacité d’aligner 100 à 120 millions de cœurs. Aujourd’hui, il y a des supercalculeurs à 20 millions de cœurs. Cela pose d’énormes contraintes de fonctionnement : énergétique, de refroidissement et bien entendu de programmation. Car il faut disposer de langages, d’algorithmes adaptés et d’outils. Comme vous le savez, la puissance délivrée n’est pas linéaire et à un moment donné, les performances plafonnent et ensuite nous avons souvent des paliers non linéaires.
Le projet EuroHPC doit aboutir vers 2022-23. Actuellement 7 pays vont démarrer le projet, 13 ont rejoint l’initiative. On annonce un investissement de 1 milliard. C’est beaucoup et pas beaucoup. EuroHPC doit travailler et développeur le matériel et le logiciel. Il recouvre 51 projets démarrés depuis 2 à 3 ans. Pour le moment il est faux de dire que EuroHPC sera un pilier de l’Europe de demain ou qu’il fournira l’indépendance technologique nécessaire sur ce domaine. Il est bien trop tôt pour le dire même si l’ambition est là, cela reste qu’une ambition. Il faut transformer cette envie en réalité et rien n’est gagné.
Dès 2014, on nous parlait de la nécessité impérieuse pour la France et l’Europe d’être indépendant sur le HPC. Dans ce cas, qu’avons-nous fait en 3 ans ? L’exascale, et le HPC sont des enjeux cruciaux pour le futur de la recherche et même pour nos industries. Se pose l’indépendance technologique, car aujourd’hui, elle n’existe pas ou sur des domaines très précis. Pourrons-nous développer des processeurs taillés pour l’exascale ? Qui développera les outils de programmation nécessaires ? Qui construira les machines ? EuroHPC est une première étape qui devra rapidement répondre à ces interrogations.
Nous avons d’ores et déjà plusieurs années de retard même si certains pays européens ont des environnements très performants, mais l’effort reste dispersé. L’autre question sera la place des Anglais. Avec le Brexit, la collaboration anglaise reste une question sensible.
Le budget semble intéressant. Le financement initial n’atteint pas 500 millions d’euros, le milliard sera réel d’ici 2 à 3 ans avec l’aide de partenaires privés, partenariat indispensable pour les technologies et le financement. Ce montant permettra de démarrer la recherche, de constituer les équipes, mais nous pensons qu’il faudra bien plus pour être véritablement crédible. Il faudra concentrer les efforts et éviter de trop émietter les compétences et donc le budget.
Ce projet est une bonne initiative, mais clairement il part avec plusieurs années de retard. Les autres pays travaillent activement sur les supercalculateurs et chaque année ils s’améliorent. EuroHPC ne peut pas prétendre se mettre au niveau de la Chine ou des États-Unis, sauf miracle. Car d’ici la disponibilité réelle du projet, les “concurrents” ne vont pas nous attendre.
François Tonic