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Par :
Eve Royer

jeu, 24/10/2019 - 12:34

Malgré son omniprésence dans notre société actuelle, le numérique peine à recruter. Un décalage dans nos systèmes d’éducation et de formation, mais aussi un déficit d’image qu’il ne tient qu’à nous de faire évoluer.

C’est un fait, si la croissance économique reste actuellement modérée, la création d’emploi a bondi depuis un an, au point que certains secteurs manquent aujourd’hui de ressources humaines pour se développer efficacement. Nos entreprises du numérique se retrouvent en première ligne de cette pénurie, en particulier du côté des ingénieurs informatiques.

Identifier, comprendre et s’adapter

Les raisons sont multiples, plus ou moins connues et reconnues : système d’éducation (du primaire au supérieur) mal adapté face aux technologies qui évoluent vite, la formation professionnelle qui ne parvient pas à s’accorder avec les emplois proposés par les entreprises, méconnaissance des métiers du numérique par les jeunes, image très masculine du secteur qui rebute les femmes à s’y engager, ingénieurs formés qui préfèrent partir à l’étranger…

On pourrait dès lors trouver des coupables, comme l’Etat qui ne transforme pas assez vite ses méthodes d’apprentissage dans les écoles, un Pôle Emploi en manque d’agilité (et de moyens), des entreprises françaises qui mettent du temps à faire leur révolution digitale lorsque les Etats-Unis et l’Asie filent vers le futur, ou encore notre société traditionnelle stéréotypée, qui n’offre pas aux jeunes femmes les mêmes chances qu’aux hommes de se choisir un destin professionnel en totale liberté.

Mais il serait trop simple pour nous, entreprises du numérique, d’accuser la Terre entière sans savoir nous remettre en question. Moteurs de la nouvelle économie, nous sommes tant occupés à façonner un nouveau monde reposant sur les avancées technologiques, que nous en avons oublié de regarder dans le rétroviseur pour vérifier que tout le monde suivait. Et ce n’est pas le cas. 

En tant qu’éclaireurs de nouveaux territoires, nous devons montrer le chemin en nous impliquant à l’extérieur de nos entreprises, afin de contribuer à la valorisation de nos métiers du numérique, surtout auprès des jeunes. Chacun a son rôle à jouer et notre valeur ajoutée se trouve probablement dans deux pans essentiels : la formation et la communication.

Former, transmettre et partager

D’ici 2021, le besoin en nouveaux ingénieurs, tous secteurs confondus, s’élèvera à près de 60 000 d’après Syntec-Ingénierie, et il est probable que les écoles et universités ne parviennent à en fournir que la moitié. Sachant par ailleurs que les cursus n’auront pas eu le temps d’intégrer les dernières innovations en Big Data, IA, etc., ce qui ne facilitera pas l’employabilité immédiate des jeunes diplômés.

Les racines du problème sont à trouver en amont, dès le primaire et au collège, où chaque parent peut constater le retard effarant de l’enseignement de l’informatique. Seulement 0,5% des dépenses de l’Etat par élève français seraient dédiées au numérique, soit six fois moins que la moyenne mondiale ! Il suffit de jeter un œil à la liste des métiers que l’on propose aux collégiens de découvrir lors des forums métiers pour se rendre compte que l’on n’en dénombre que trois ou quatre liés au numérique sur une soixantaine…

De timides avancées ont lieu depuis 2016 avec l’introduction de l’apprentissage du code auprès des écoliers, mais il manque encore une stratégie globale ambitieuse en faveur du numérique. La digitalisation prend pourtant une place de plus en plus importante dans tous les secteurs d’activité et se limiter à n’être qu’un utilisateur passif constituera un handicap professionnel dans le futur.

La France est un pays où le monde de l’enseignement et celui de l’entreprise ont du mal à communiquer, pour des raisons sans doute culturelle et politique. Mais cela doit changer si l’on veut stopper le chômage et que le pays ne décroche pas économiquement. L’école n’étant pas à la hauteur des enjeux de notre société, il ne serait ni sage ni constructif de ne compter que sur sa lente évolution à venir pour faire avancer les choses.

Les entreprises du numérique doivent ainsi prendre leurs responsabilités et devenir plus proactives dans leurs aides à l’enseignement, et à la formation en général, au côté notamment de Pôle Emploi qui ne parvient pas non plus à remplir suffisamment son rôle. Cela suppose de développer des partenariats, des programmes adaptés à chaque niveau, et surtout du temps à consacrer à former, expliquer mais aussi évangéliser.

Donner envie, intégrer et inspirer

Car si l’implication dans la formation est une mission indispensable, elle n’est viable que si l’on parvient à donner envie à davantage de jeunes de rejoindre les métiers du numérique. Bien qu’ils passent une bonne partie de leur temps libre à vivre des expériences digitales, du smartphone aux réseaux sociaux en passant par les jeux vidéo, ce n’est pas pour autant que les jeunes possèdent une bonne connaissance des métiers de cet univers.

Un travail de valorisation du secteur est donc primordial pour effacer les clichés qui existent encore trop souvent chez certains étudiants pour qui « ingénieur informatique » rime avec geek introverti et anti-social. La réalité est bien sûr tout autre, mais encore faut-il prendre le temps de le démontrer. Cela est d’autant plus vrai dans les milieux sociaux défavorisés, où les « intellos » sont souvent mis à l’index, ce qui n’aide pas à drainer les jeunes talents vers les écoles d’ingénieurs.

Ce stéréotype du métier d’ingénieur « pas fun, pas sexy » touche encore plus durement les populations féminines, puisqu’on ne dénombre aujourd’hui que 28,5% de femmes dans l’ensemble des ingénieurs diplômés. Elles sont ainsi moins nombreuses dans les filières scientifiques en France, principalement en raison des préjugés infondés mais tenaces qui voudraient qu’elles soient moins douées pour les sciences. 

Des filières d’ingénieurs encore trop peu choisies par les femmes, malgré les efforts des écoles pour les attirer, alors que les débouchés et parcours favorisent pourtant une autonomie et une insertion rapide sur le marché du travail. Conséquence directe, le secteur du numérique, intrinsèquement lié à l’ingénierie, attire de fait moins de femmes, et réduit donc mécaniquement la main d’œuvre totale disponible.

Nous sommes donc face à un déficit d’image de nos métiers auprès des jeunes et plus particulièrement des femmes, et c’est à chacun d’œuvrer pour faire évoluer cette perception. Les femmes en poste à de hautes positions dans les entreprises du numérique peuvent à ce titre représenter des figures inspirantes, en racontant leur parcours et leurs réussites. Des actions de communication essentielles si l’on souhaite imposer progressivement une image attractive du secteur auprès de plus de jeunes femmes.

Prendre de la hauteur, converger et s’entraider

Cette situation de pénurie en ressources humaines entraîne naturellement une guerre des talents, notamment entre ESN (Entreprises de Service Numérique), cabinets de conseil et éditeurs, mais aussi avec leurs propres clients, entreprises de tous secteurs, qui internalisent de plus en plus leurs ressources techniques.

Cela profite certes aux ingénieurs très (et même trop) sollicités, mais pas au secteur dans son ensemble qui se voit freiné dans son expansion. La concurrence féroce pour s’accaparer les meilleurs talents est logique, mais nous, entreprises du numérique, aurions plutôt intérêt à unir nos forces pour en attirer davantage vers nos métiers.

Plusieurs ESN de taille très conséquente ont déjà choisi de créer leur propre école, aux côtés d’autres initiatives comme l’Ecole 42 de Xavier Niel ou l’école IA de Microsoft et Simplon. Mais ce n’est qu’un début, toutes les ESN de moyenne et petite taille devraient réfléchir elles-aussi à mutualiser des ressources pour créer d’autres écoles ou développer des partenariats de formation, tout en communiquant auprès des jeunes. Cela pourrait faire bouger les lignes et finalement aider notre société à avancer dans la bonne direction.

A propos de l'auteur

Eve Royer
Directrice des Ressources Humaines d’Umanis

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